"Les mots qui touchent l'âme - Découvrez la plume de Juliette Norel"
Je m’appelle Juliette, j’ai 29 ans et de l’extérieur ma vie pourrait paraitre parfaite. En tout cas, d’une jolie normalité. J’ai une adorable petite fille, solaire, rieuse et en bonne santé, un mari tout neuf, une jolie alliance brillante à mon annulaire gauche, et je m’efforce à tout prix de cadrer à l’image d’Epinal que je vous renvoie. Celle que j’aimerai voir me sourire dans le miroir. Et pourtant...
Pourtant, la vie que j’ai construite, de toutes pièces malgré la noirceur qui me colle à la peau depuis que ma peau existe, vole en éclats sans que je ne puisse rien faire d’autre qu’en compter les fragments.
Tout m’échappe et là tout de suite, je n’ai pas envie que ce soit déjà le matin. Pitié ! dites-moi que la nuit est encore d’encre, dehors, qu’il me reste du temps pour me draper de silence, que ce n’est pas encore l’heure de replonger, malgré moi, dans cet infernal manège, devenu mon quotidien. J’ai la tête dans un étau, le cœur criblé de balles virtuelles et je me demande combien de temps encore, je pourrai respirer sans m’asphyxier, combien de jours je pourrai maintenir ce stoïcisme affiché, à faire semblant que je suis imperméable à la menace, à l’intimidation et surtout, que je n’ai rien à cacher. Combien de minutes vais-je pouvoir tromper cet ennemi masqué avant de m’effondrer pour de bon ? Qu'adviendra-t-il alors ?
Je voudrais seulement dormir un peu. Réveillez-moi quand tout sera fini, que les nuages seront loin, je voudrais simplement tromper le jour et qu’il passe son chemin. Immobile, je reste là, les paupières closes, en attendant que ne s’éveille Fleur dans la chambre à côté. Juste un instant que je voudrais éternel, suspendu dans le temps pour émerger de ce sommeil dépourvu de rêves. De toute façon, je ne m’en souviens jamais, comme si Morphée avait décidé de ne m’accorder qu’un cortège de cauchemars en survivance de ces nuits grises, trempées de sueur.
Parfois, j’arrive à tout oublier l’espace de quelques heures, lorsque, à bout de forces, je cède aux assauts du marchand de sable qui souffle sur le bord de mes cils. À peine le temps de reprendre une inspiration, et, surtout, de décortiquer minutieusement les messages anonymes que je reçois depuis des mois et qui me plongent, chaque fois, dans une angoisse oppressante. Parce que ce flot de haine jamais ne cesse.
Jour après jour, nuit après nuit, un danger sourd, muet, invisible et sans visage me traque, où que je sois ; dans l’intimité de mon appartement, dans le bus qui me conduit au travail, à chaque instant de mon quotidien, sans que je ne sache ni où, ni quand, ni avec quelle stratégie, ce fou frappera au prochain coup, sur cet échiquier qu’est devenu ma vie, à mes dépens. À toute heure, de manière aléatoire, un, deux, parfois jusqu’à une dizaine de textos, de mails ou de captures-écran de mes conversations sur les réseaux, de mes courriels, de mes comptes bancaires, des photos volées dans la rue ou depuis le trottoir en bas de mes fenêtres assaillent mon téléphone, sans relâche, dans une sinistre partie d’échecs ou chaque action peut me mener au mat final. Une déferlante à la fois glaçante et piquante qui se déverse toujours depuis des serveurs masqués et des adresses électroniques anonymes, dont les traces se perdent à l’autre bout du globe, alors que je ressens son souffle glissant le long de mon échine, quand je décroche mon téléphone et n’entends qu’une respiration étouffée, juste un souffle anonyme au bout du fil...