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L’évasion ratée #extrait 23 Une anonyme au bout du fil

Elle rentre comme un prisonnier qui vient de rater son évasion, avec un mitard quand même beaucoup plus agréable, dans la demeure bourgeoise de ses parents, maison qu’elle ne considérera jamais comme son foyer à elle, puisqu’elle n’s’y sent pas chez elle.

Chez elle c’était ailleurs, c’était avant.

Plus tard, elle a droit aux reproches de ses parents, aux yeux mouillés de France, à la culpabilisation, à un prêche sur son ingratitude et même à un petit tour au commissariat pour confirmer qu’il n’y avait plus lieu de la chercher avec un petit sermon d’un flic en uniforme, en prime.

  Ben voyons !

Juliette ne dit rien et hoche simplement la tête comme un pantin sous Xanax, pour leur faire croire à tous qu’elle se repent.

En réalité, elle veut juste se laver, dormir et que cesse ce week-end cauchemardesque.

En se disant que lundi, elle éteindrait la flammèche qui avait mis ce feu aux poudres et que tout finirait par rentrer dans l’ordre.

Après tout, c’est juste un problème de moyenne de chimie…

Le lundi matin première heure, dans le bureau du principal…

Juliette explique le problème, des vérifications sont faites, elle a raison, il y a eu inversion des moyennes, avec un vrai blaireau.

─ On est vraiment désolés, mortifiés, ça n’arrive jamais !!! 

Blablabla

Putain de Karma.

Évidemment, elle passe en seconde, le principal s’excuse, pas ses parents.

Dans quelques semaines, elle doit passer le brevet.

Et ce n’est pas gagné, ils pensent tous sans l’exprimer à haute voix qu’elle n’aura pas l’examen.

─ Beaucoup de points à rattraper Juliette…

 Alors, avec toute l’énergie déployée par un esprit de contradiction surdéveloppé, elle décide de faire mentir leurs sourires consensuels, non pas pour les contenter eux, mais pour qu’ils regrettent d’avoir douté d’elle et effacer ce cynisme mielleux de leurs traits.

Pendant trois semaines, elle va bosser d’arrache-pied, revoir tout le programme qu’elle a passé l’année à vaguement survoler.

Elle aura son brevet, épuisée.

Toute une journée à guetter les résultats sur écran, dans le bureau de Noël. Rien.

N’y tenant plus, elle se rend au collège pour attendre l’affichage dans la cour…

Juliette RICHARD ; ADMISE

Elle rentre à la maison, s’attendant naïvement à un moment de gloire mais ne voit sur le visage de ses parents que le voile de l’incertitude et du doute.

Elle les imagine déjà monter en douce pour vérifier par eux-mêmes puisqu’ils ne semblent pas la croire capable d’avoir réussi son examen.

Pas d’excuses, pas de fierté mais une sorte d’instant figé, on l’on fait tous semblant d’être heureux.

A cet instant, le cœur de Juliette est comme un morceau de soie, froissé, déjà malmené que l’on déchire au ralenti.

Partir d’ici au plus vite, comme un mantra.

Comme s’il n’y avait déjà plus rien à sauver entre eux.

Elle avait tellement raison…

L’amie qui trahit #extrait 22 Une anonyme au bout du fil

Elle se secoue, « ce n’est pas le moment, Ju !» repose le combiné pour le reprendre, glisse sa carte et compose le numéro d’Isabelle, une autre de ses amies.

C’est sa mère qui décroche, elles s’aiment bien avec Juliette.

Pourtant, elle sent sa voix tendue, mais elle ne dit rien de spécial, appelle sa fille, et lui glisse quelque chose, que Juliette ne saisira pas.

Soudain la voix d’Isa, dans l’appareil, comme un réconfort.

─ Ju, ça va ? Tu vas bien ?

─ Oui ça va, mais je suis partie de chez moi, j’me suis pris la tête avec ma mère, j’en ai ras-le-bol…

─ Dis-moi où tu es, on va venir te chercher !

Elle hésite…déjà, parce qu’elle n’a envie d’attirer de soucis à personne et aussi parce quelque chose en elle se dresse comme une palissade qui la fait se mettre sur la défensive.

Peut-être cette phrase murmurée par la mère d’Isabelle, il y a quelques secondes à peine, dont elle n’a pas compris le contenu mais qui la met en alerte.

Comme un pressentiment.

Sa copine insiste :

─ Ju, tu ne vas pas rester comme ça, toute seule dehors, dis-moi où tu es et on arrive !

Elle a envie de s’asseoir dans un cocon, de se poser dans une chrysalide, que cette épreuve s’arrête pour qu’elle puisse réfléchir et s’assoupir avec des certitudes germées dans son esprit au réveil.

Elle se sent comme une fugitive, alors qu’elle s’est enfuie depuis seulement quatorze heures de chez ses parents.

Ils ont dû alerter tout Angers, mais ont-ils dormi ? Mangé ? Comment va sa sœur ? Est ce qu’elle pleure ? Est-ce que France se rend compte à quel point Juliette est dévastée de comprendre qu’elle ne représente qu’une déception dans ses yeux maternels mais si peu « maternants » ?

Au bout de quelques minutes, la palissade s’effondre et elle laisse      échapper dans un soupir :

─ dans la cabine téléphonique, Rue La Madeleine…

─ Ok, on va venir, ma mère est partie s’habiller, mais tu as dormi où ? Tu sais que tes parents sont fous d’inquiétude, ils sont venus hier, ils te cherchaient partout…

Ses tirades n’en finissent pas, Juliette trouve ce babillage vide de sens, puisqu’elles allaient se voir dans quelques minutes, une fois que sa mère aurait fini de se préparer, étonnant d’ailleurs, qu’est-ce qu’elle fichait…

Soudain, comme un éclair de compréhension, dans l’esprit embrumé de Juliette, Isabelle essayait de gagner du temps !

Juliette scrute la rue vide et silencieuse, se fige, guette le moindre son émergeant du brouhaha citadin alentour.

Un crissement de pneus dans une rue toute proche, une Rover au croisement.

Son père !

Elle reconnaît l’avant de la voiture, crie « Connasse !» au combiné qui se balance, goguenard, au bout de son tortillon mécanique.

Elle tente alors de s’enfuir en courant, claquant à la volée les portes en verre de la cabine.

Mais la rue est une ligne droite étroite, pas d’endroits où se faufiler en piétonne.

Elle entend le moteur de la Rover rugir, puis voit la voiture la dépasser.

Son père le volant, la bagnole pivote, se gare à travers son chemin, elle est bloquée.

Noël ouvre la portière, la toise et lance :

─ Monte Juliette, fais pas ta gamine !

Elle abdique, de guerre lasse, trahie par une copine qui a fait ce qu’il fallait sans doute, mais trahie quand même.

Une classe de neige #extrait 16 Une anonyme au bout du fil

Ses copains des Célestins ont organisé une surprise pour son départ, une sorte de séance photo dans la cour du collège avec un appareil-photo jetable, comme pour immortaliser en argentique des amitiés qui pourraient conjurer la distance.

Pendant qu’elle pose avec ses copines, il sort de la classe de musique, la regarde une brève seconde et tourne les talons comme si elle n’était déjà plus qu’un fantôme, à peine un souvenir sur lequel on refuse de s’arrêter.

 Le cœur de Juliette, semble manquer un battement, son sourire se fige, « le petit oiseau  » sort et grave sur pellicule toute la douleur contenue d’un premier chagrin d’amour.

Alors, les garçons, dans l’immédiat, merci pour elle !

Elle n’a pas envie de faire confiance à cette espèce à part, capable de jurer l’amour éternel pour prendre la poudre d’escampette au premier coup de vent.

Désormais, quand elle sent des garçons essayer de l’approcher d’un peu trop près, elle esquive et resserre les coudes avec ses copines.

Pourtant, au fil de ce séjour à la montagne, elle remarque effarée trois garçons qui semblent faire en sorte d’être de plus en plus présents dans son champ de vision.

Elle a l‘impression de sentir comme quelque chose de « sale » dans leurs regards qu’elle ne sait encore définir mais qu’elle ressent vaguement comme un danger en approche.

Le dernier soir, celui de la traditionnelle fête de fin de séjour, l’un deux – François-Xavier – ose s’approcher d’elle, assise en train d’observer les danseurs autour et l’invite à « sortir avec lui » !

Juliette, le toise de son regard le plus noir et venimeux puis lui jette à la figure :

─ Toi, tu me lâches et tu dégages !

Oui, la diplomatie n’a jamais été son fort ! ce qui lui posera là aussi bon nombre de problèmes dans la vie…

Elle se lève, drapée dans sa dignité et file dans sa chambre finir de préparer ses affaires pour le départ du lendemain matin, sans se rendre compte que cet affront n’a pas du tout plu au fameux FX – c’est comme ça que les autres le surnomment – ni à son troupeau de boutonneux, solidaires.

En terre inconnue #extrait 15 Une anonyme au bout du fil

C’est ainsi qu’un fameux 2 Janvier, toute cette « joyeuse » famille prend possession d’un joli appartement angevin, en plein cœur du centre-ville – Boulevard du Roi René, juste à côté du château.

L’immeuble est cossu avec du marbre Rose et de grands miroirs dans l’entrée.

Ils s’installent dans un T3 très lumineux avec des beaux parquets et un petit balcon.

Désormais, elle doit partager sa chambre avec sa petite sœur, mais surtout elle doit renoncer à garder son chien Tommy, adopté il y a deux ans à la SPA et confié à Rose, en attendant…

En attendant surtout que sa grand-mère se lasse de ce fardeau à 4 pattes et décide de le confier, sans concerter personne, à de vagues connaissances retraitées.

Juliette le vit comme une nouvelle trahison et n’adressera plus la parole à Rose pendant plusieurs années.

Décidément, sa confiance en les adultes s’ébranle de plus en plus pour se muer en une franche hostilité butée.

A peine deux jours après avoir posé ses valises, elle fait son entrée en 5ème au collège CHEVREUL et, contrairement à ce qu’elle craignait, sa nouvelle classe lui fait bon accueil.

Une classe de neige est prévue à peine quelques semaines plus tard et elle y participe.

Cette semaine de ski lui permet de se rapprocher encore un peu des filles de la classe, surtout celles qui partagent sa chambre.

Il y a bien un groupe de garçons dans l’autre classe de 5eme présente qui la regarde avec insistance, qui chuchote et glousse entre eux mais Juliette s’en fiche et n’y prête que peu d’attention.

Elle ne se rend pas compte des regards qui coulent sur elle, s’attardent un peu trop sur sa féminité.

A douze ans, elle en paraît seize, mesure déjà 1m65 et a hérité des formes latines de Rose.

Voluptueuse, la taille fine, une poitrine déjà très généreuse et une cambrure insolente qui vont lui valoir tout un tas de problèmes…

Comme elle n’a encore pas conscience de ce que l’on appelle des     « atouts » puisqu’elle-même ne les voient que comme des handicaps en cours de sport, elle n’imagine pas que d’autres puissent la regarder différemment.

Et puis, elle pense encore à Flo évidemment…

Lui qu’elle connaissait depuis la primaire et qui n’avait jamais eu de geste déplacé.

Ils se tenaient la main, se faisaient glisser des mots doux ou se téléphonaient le soir quand personne n’écoutait.

Pour la St Valentin, il avait demandé à sa grande sœur de l’accompagner au magasin « Bagatelles » et lui avait acheté un cœur de terre-cuite vert parfumée au jasmin, qui lui avait glissé dans la cour, le visage cramoisi.

Flo si gentil et tendre, jusqu’à ce fameux samedi, cloîtrée dans le bureau de son père et les mots qui claquent dans le téléphone ; quand en pleurs, elle lui annonce la catastrophe.

Puis ce terrible regard empreint de froideur dans la cour du collège le   lundi suivant, comme s’il voulait déjà passer à autre chose et qu’elle était responsable de cette séparation géographique sonnant déjà le glas de cette histoire d’enfants.

Pas de portable, pas d’internet ni de réseaux sociaux, juste un silence qui s’éternise et cette terrible dispute qui résonne encore.

Elle ne le reverra pas, du moins pas avant…

9143 jours…

Le ventre maudit #extrait 14 Une anonyme au bout du fil

La petite France est envoyée chez ses grands-parents maternels, pour y vivre pendant environ un an.

L’argent obtenu des assurances permet tout juste de solder les dettes, Rose doit tout reconstruire pour elle et ses filles.

Elle devient directrice d’une succursale SINGER, et part une année en formation à Tours.

Les filles sont donc séparées, encore, et confiées à droite, à gauche à des membres de la famille.

En attendant…

France n’y comprend plus rien des voyages sans fin de son père, de ce qu’elle vit comme un abandon de sa mère et de sa sœur qui n’en porte que le nom.

Et puis, il faut affronter ces murmures qui s’amplifient de plus en plus, autour d’elle, comme une vague qui prend de la vitesse et déferle, impossible à endiguer.

Elle boit la tasse, le jour où une gamine lui balance, un sourire sadique au coin des lèvres :

─ Tu n’es qu’une fille de suicidé !

Lorsqu’elle essaie d’obtenir des réponses comme on quémande une ultime bouée avant de se noyer, c’est l’omerta.

Personne ne parle, nul ne confirme ou ne répond à ses questions.

Juste des pleurs que l’on étouffe et dissimule, seulement de la colère et les yeux noirs de Rose qui la clouent au sol, pétrifiée.

Mais comment se construire normalement, dans ce silence oppressant ?

Avec une mère qui lutte pour construire un avenir pour elle et ses filles, et pour père : juste un portrait au-dessus du chambranle de la porte et quelques souvenirs qui s’effacent chaque jour davantage ?

Ce n’est finalement que bien plus tard, une fois majeure, qu’elle découvrira, en accédant aux archives de LA MONTAGNE – quotidien local – cent trente-cinq grammes de vérité brute.

Son père ne reviendra jamais.

Il a choisi, seul, de partir en se logeant une balle dans le crâne, en laissant sa femme devenir veuve à tout juste trente ans, ses deux petites filles orphelines et ses proches se démener dans un océan de mensonges et de faux-semblants.

Ensuite pour France c’est une lutte constante pour glaner une place dans la lumière.

Réussir à l’école, brillamment pour s’en sortir, faire oublier son nom et rendre fière sa mère aussi…

Comme l’argent manque, elle accepte à contre-cœur une bourse pour devenir assistante sociale, moyennant plusieurs années de carrière.

A dix-sept ans, elle rencontre Noël, étudiant en lettres sans grand moyens, qui a, également, perdu son père trop jeune.

Lui aussi, donc, a des comptes à régler avec le destin.

Tombée enceinte, encore mineure, elle est contrainte d’avorter clandestinement dans des conditions sordides et une asepsie nulle.

France fait une septicémie, frôle la mort de près…

Un ange passe, elle survit.

Les familles font pression ; ils se marient…

Mais est-ce que l’amour perdure ou est-il « passé » avec ce bébé, puisque c’est comme ça qu’on dit ?

Les années s’écoulent, les médecins la diagnostiquent stériles ; elle fait deux fausses-couches.

Et finalement, alors qu’ils n’y croyaient plus, un bébé s’accroche – enfin un des bébés ! puisqu’il y a deux poches dans cet utérus que l’on prétend maudit.
Une petite fille née le premier jour d’un mois de décembre enneigé :  Juliette, qui sera suivie, presque six ans, après par une petite sœur, blonde comme les blés, arrivée la veille de l’été : Fanny.

Les années de galère sont loin, la réussite s’est installée

Elle a repris ses études, est devenue psychologue, lui est directeur d’un centre des langues, tout semble pour le mieux.

Pourtant, le couple est fragile derrière une façade souriante et paisible.
France a sans doute tenté à sa façon de souder cette famille dont elle a bâti les fondations en partant rejoindre Noël établi dans l’Ouest, comme pour conjurer ses blessures d’enfance encore béantes.
Se donner une chance de tout reconstruire à quatre, loin de cette terre, synonyme pour elle de violences et de mensonges, prendre un nouveau départ, commencer une nouvelle vie.