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Moi, Juliette #extrait 1 L’anonyme intime

Je ne sais précisément à quel moment, ma vie s’est mise à dérailler…je ne pourrais définir à quel instant la magie de l’enfance s’est envolée… 

Était-ce dans cette chambre miteuse, lorsque, pendant cet été adolescent, on m’avait fait la haine et assassiné mon enfant intérieur ou alors était-ce bien avant ? 

J’avais cru mourir souvent, m’étais relevée pourtant, j’avais réussi à reconstruire ma vie, réappris à faire confiance. J’avais offert l’amour qu’il me restait, donné la vie à une petite fée et puiser toute ma force pour combattre mes démons les uns après les autres mais… 

Alors que je me suis mariée il y a seulement quelques mois, tout dérape à nouveau. L’homme que j’ai épousé me dévoile le pire alors que je rêvais du meilleur sans compter cette ombre menaçante qui rôde autour de nous, sans que je ne sache comment la contrer. 

Depuis des semaines, je suis harcelée de messages anonymes, effrayants de précision sur ce qui fait ma vie, actuelle et passée. 

La violence a décidé de prendre sa revanche et s’infiltre à l’intérieur et à l’extérieur de mes murs. 

Je vais devoir la débusquer et reprendre ma vie en main pour ne surtout pas laisser gagner la noirceur. 

un intrus sous l’oreiller #extrait 3 L’anonyme intime

Les mains tremblantes, le cœur comprimé, je me penche, encore davantage, pour jeter un coup d’œil sous le sommier et apercevoir…. William… Qui dort, ou qui selon toute vraisemblance, fait semblant.  

 Mon corps entier se fige, cloué par un mélange de stupeur, de colère et de rage. J’essaie de calmer les palpitations qui m’empêchent de réfléchir pour observer la scène qui se déroule sous mes yeux et les doigts de Will qui touchent presque mon smartphone, dans une position qui n’a rien de naturel. Le décor se met à tanguer.  

Lentement, pour ne pas faire de bruit et le prendre à défaut devant témoin, je m’assois en tailleur sur le lit, recouvre mes esprits et secoue doucement Johana qui dort paisiblement, juste à côté et tandis que mon amie émerge à son tour, s’étire et ouvre enfin les yeux, je lui fais signe de se taire en plaquant mon index sur sa bouche. Elle fronce les sourcils, sans comprendre, mais toujours sans piper mot, je lui fais signe de regarder sous le lit.  

Johana sait que ma vie est… disons pleine de rebondissements, alors elle s’exécute sans broncher. Quelques secondes s’écoulent pendant lesquelles je ne vois que le dos de son T-shirt les Aristochats. 

Quelques secondes qui me semblent une éternité tant j’ai peur qu’elle ne me dise en se relevant qu’il n’y a rien sous le sommier, à part peut-être quelques moutons de poussières récalcitrants. Quelques secondes pendant lesquelles, j’ai peur de lire dans ses prunelles, de la pitié ou du chagrin, un de ces regard que l’on lance à une personne malade grièvement.  

Je me demande toujours si je ne suis pas tout bêtement en train de sombrer dans la folie, qui guette depuis bien trop longtemps déjà. Si j’avais été seule ce matin-là, j’aurais sans doute fini par m’en persuader. C’est souvent ainsi, quand les péripéties de ma vie deviennent trop violentes, trop pénibles, dans un sursaut de préservation ou une légère anesthésie, mon cerveau bloque l’événement, le met en quarantaine pour que je puisse continuer à avancer. Un pas devant l’autre, sur un fil invisible. Seul mon subconscient fait de la résistance et m’envoie des bribes de souvenirs troublants, à travers les songes pour que je n’oublie jamais vraiment…même si, honnêtement, je préférerai.  

Alors, tandis que Johana se redresse enfin, les yeux écarquillés de surprise teintée de stupeur, une part de moi ne peut s’empêcher d’être rassurée de ne pas être victime d’hallucinations, d’avoir ce témoin bienveillant auquel me raccrocher quand toutes les certitudes s’effondrent et que ma santé mentale est mise, une fois encore , à rude épreuve. 

 D’une voix forte et tranchante, je brise le silence de la chambre et jette :  

─ William ! tu sors de là-dessous TOUT DE SUITE !!!  

Comme il ne répond pas, faisant mine de ne pas entendre, je tambourine violemment des poings sur le cadre du lit en bois. Au bout d’un instant que ne semble jamais vouloir prendre fin, il rampe hors de sa cachette, apparemment gêné d’être trouvé en mauvaise posture et bafouille laborieusement : 

 ─ je voulais que tu aies un joli réveil pour ta fête … et je me suis endormi

Les yeux rivés au sol, il se dresse de toute sa hauteur, resserre la ceinture de son peignoir bleu élimé comme l’on se drape dans sa dignité et sort de la pièce, nous laissant toutes deux pantoises.  

Un instant de silence pesant s’écoule avant que Johana, semblant reprendre ses esprits à son tour, ne me jette un regard lourd de sens et se faufile sans un mot dans le couloir en direction de la salle de bains.   Moi, toujours sonnée, j’observe l’écran de ce fichu téléphone qui clignote, assailli par les notifications que je décide d’ignorer pour le moment, obnubilée par l’image de cette main posée tout près, il y a une minute, seulement. 

QU’EST-CE QU’IL CHERCHAIT ? QU’EST-CE QU’IL FAISAIT EN PLANQUE SOUS LE LIT ? C’EST VRAIMENT TROP BIZARRE… ET SI FINALEMENT… C’ÉTAIT LUI ?  

L’anonyme qui me poursuit par écrans interposés, faisant partie de mon quotidien sans même que je ne puisse l’identifier.

« Mais non ! c’est impossible ! William, aussi, reçoit tout un tas de saloperies… ça ne peut pas être lui. Et puis comment il pourrait savoir tout ça ? tu deviens dingue ma pauvre, dingue ET parano… »  

A chaque message dont il est le destinataire, il semble vieillir de dix ans tant la tournure des phrases qui lui sont adressées est plus agressive, violente. Cette personne qui se présentait à moi, comme “quelqu’un qui me veut du bien” semble clairement décidé à l’anéantir.

Comme si je n’étais qu’un dommage collatéral, ou une arme cousue main, comme si la vengeance dont nous sommes la cible lui était destinée. Mais par qui ? Que cachait William à travers ses silences ? Qui voulait lui nuire à ce point, en m’éclaboussant aussi, en m’utilisant pour l’atteindre au plus profond?  et même si je le soupçonne de me taire des éléments déterminants dans l’identification de celui ou celle qui s’acharne sur nous depuis toutes ces semaines, je ne pense pas Will capable de feindre à ce point, tant il semble abasourdi par la vague qui nous submerge.

Mais en réalité, je ne sais plus vraiment…

Connait-on vraiment les gens avec lesquels nous vivons ? Que devient l’amour quand il s’en va ? Est-ce qu’il se transforme obligatoirement en rancœur, en mépris ou en chagrin, ou se déverse-t-il plus loin sur un autre couple d’amoureux comme une fine pluie d’été ou des pétales de cerisier japonais soufflés par la brise?

L’inexorable menace #extrait 2 L’anonyme intime

C’est comme une menace qui enfle et se rapproche inexorablement. Une ombre masquée qui semble me savoir par cœur, connaître ma famille de l’intérieur, qui paraît nous observer au sein même de notre intimité et se niche au creux de cette fragilité que je croyais pourtant avoir appris à dissimuler, depuis longtemps. 

Les coups semblent pleuvoir de toute part, à travers mes écrans ; aucun logiciel ne vient à bout de cette infestation quand je scanne ce fichu ordinateur. A chaque fois que je pense avoir gagné, avoir éliminé le virus ou au moins l’avoir mis en quarantaine, les messages reprennent de plus belle sur le téléphone qui ne quitte presque jamais. Le danger est partout tout autour.  

Alors, durant ces quelques minutes d’accalmie, suspendues entre la tonitruance des journées et les nuits silencieusement terrifiantes, j’ai seulement envie de me laisser bercer, un instant, par la respiration sereine qui vient de l’oreiller juste à côté.

Une douce lumière orangée que diffuse une délicate lampe en cristal de sel ouvragée, tamise la chambre. Parce que… depuis de nombreuses années, je me tétanise dans l’obscurité, jusqu’à suffoquer. J’ai besoin de cette lueur salvatrice, comme un phare dans les ténèbres qui menacent de m’ensevelir, comme une bouée qui m’empêche de me noyer dans le noir, berceau de mes cauchemars embusqués.  

Au fur et à mesure, tandis que la vie réelle reprend ses droits et que le brouillard du sommeil se dissipe peu à peu, je ressens intérieurement l’heure du réveil se rapprocher et me force à ouvrir les yeux à contrecœur, pour chercher l’horloge du regard. Ils me brûlent, encore ensablés, alors que doucement se dessinent des formes intruses dans mon refuge domestique. 

J’en sais chaque contour, chaque angle et chaque rondeur mais ce matin, un indéfinissable pressentiment m’enserre la poitrine sans que je ne puisse le définir, alors je fais papillonner mes paupières, pour les ouvrir en grand et distingue enfin, un océan de fleurs colorées qui s’étale dans l’exiguïté de la pièce. Une étendue blanche et violette de Phalaénopsis, mes orchidées préférées disposées sur la table de chevet, la coiffeuse, l’armoire, jusqu’à la porte d’ordinaire verrouillée de l’intérieur, dangereusement entrebâillée ce matin-là… L’alarme silencieuse qui s’est allumée dans mon esprit quelques secondes plus tôt s’intensifie encore tandis qu’une décharge électrique parcourt chacune de mes terminaisons nerveuses.

Piquée à vif, sonnée, je me redresse sur les coudes, balaie chaque centimètre de la chambre et découvre de délicats paquets cadeaux dorés, dissimulés parmi la multitude de tiges fleuries. Assommée par la fatigue nerveuse des derniers mois, je peine à comprendre et tend la main pour toucher la peau nue du bras voisin qui dépasse de la housse de couette en broderie anglaise, comme pour m’y amarrer, comme pour obtenir des réponses dans cette réalité absurde. Mais mon portable se met à vibrer et je suspends ce geste pour pivoter sur les coudes, me pencher vers le sol et attraper à l’aveuglette ce maudit téléphone avant que la sonnerie ne se déclenche. 

Mais au lieu de rencontrer la texture froide et rigide, attendue en de pareilles circonstances, mes doigts frôlent quelque chose de mou et chaud. Un cri perçant se bloque dans ma gorge et m’étouffe presque tandis que mon sang se glace et me pétrifie instantanément en statue de sel. Posée à deux centimètres de l’écran qui s’affole, une main puissante, comme prise sur le vif, en flagrant délit de fourberie, semble sortie de nulle part pour s’introduire dans ma bulle protectrice improvisée…

L’anonyme intime #prologue

Je m’appelle Juliette, j’ai 29 ans et de l’extérieur ma vie pourrait paraitre parfaite, en tout cas, d’une jolie normalité. 

 J’ai une adorable petite fille, solaire, rieuse et en bonne santé, un mari tout neuf, une belle alliance reluisante à l’annulaire gauche, et je m’efforce de toutes mes forces de cadrer à l’image d’Epinal que je vous renvoie, et pourtant… 

Pourtant, la vie que j’ai construite de toutes pièces, malgré la noirceur qui me colle à la peau depuis que ma peau existe, vole en éclats sans que je ne puisse rien faire d’autre qu’en compter les fragments. 

Tout m’échappe et là tout de suite, je n’ai pas envie que ce soit déjà le matin. Pitié dites-moi que la nuit est toujours d’encre dehors, qu’il me reste du temps pour écouter le silence, que ce n’est pas encore l’heure de replonger, malgré moi, dans cet infernal manège, devenu mon quotidien. 

J’ai la tête dans un étau, le cœur criblé de balles virtuelles et je ne sais pas combien de temps encore je vais réussir à respirer sans étouffer, à faire semblant que tout va bien, que rien ne m’atteint et que je ne cache aucune plaie béante à l’intérieur. 

Je voudrais seulement dormir un peu, réveillez-moi quand tout sera fini, que les nuages seront loin, je voudrais simplement tromper le jour et qu’il passe son chemin. 

Alors, figée, je reste là, les paupières closes, en attendant que ne s’éveille Fleur dans la chambre à côté. Juste un instant que je voudrais éternel, suspendu dans le temps pour émerger de ce sommeil dépourvu de rêves. De toute façon, je ne me souviens jamais de mes rêves, comme si Morphée avait décidé de ne m’accorder qu’un cortège de cauchemars en survivance de ces nuits grises trempées de sueur.  

Parfois, j’arrive à tout oublier l’espace de quelques heures, lorsqu’à bout de forces, je cède au marchand de sable qui souffle sur le bord de mes cils. À peine le temps de reprendre une inspiration, et surtout de décortiquer minutieusement les messages anonymes que je reçois depuis des mois et qui me plongent, chaque fois, dans une angoisse oppressante, parce que leur flot discontinue, jamais ne cesse.  

Tout le jour, comme une menace sourde, muette et sans visage, qui me poursuit où que j’aille, dans le huis clos de notre appartement, dans le bus qui m’emmène au travail comme dans chaque instant de mon quotidien. À toute heure de la journée et de la nuit, de manière aléatoire, un, deux, parfois jusqu’à une dizaine de textos, de mails ou de captures-écran de mes conversations sur les réseaux, de mes courriels, de mes comptes bancaires, des photos volées dans la rue ou depuis les fenêtrent assaillent mon téléphone, sans relâche. 

Une déferlante à la fois glaçante et piquante qui se déverse toujours depuis des serveurs masqués et des adresses électroniques anonymes, dont les traces se perdent à l’autre bout du globe, tandis que je ressens la présence d’un danger imminent, glaçant, le long de mon cou, lorsque je décroche mon téléphone et n’entend qu’une respiration étouffée, juste le souffle d’un anonyme au bout du fil…