Je n’ai nulle part où m’enfuir sans me mettre en tort face à la justice des hommes, parce que je sais que will ne me passera aucune faute et me clouera, net, au pilori puisque j’ai l’audace d’oser le quitter.
Alors bien décidée à ne pas me laisser aller trop longtemps dans cette vulnérabilité malvenue, je me redresse, me glisse dans les toilettes pour m’asperger le visage d’eau froide et recomposer la normalité de mes traits. Dans deux jours, j’ai enfin rendez-vous avec un avocat pour lancer la procédure de divorce et pour l’heure, je préfère ne pas attirer l’attention. Aussi quand la lumière crue du miroir sans âme de ce triste décor me renvoie une image que j’estime convenable, je prends une grande inspiration que je niche tout au fond de mon plexus, me force à afficher un visage qui se veut serein et pénètre, comme en apnée, dans la cacophonie dans laquelle j’officie huit heures par jour, cinq jours par semaine, quarante-sept semaines par an.
D’une démarche que j’espère assurée, je me dirige à ma place attitrée, lance l’ordinateur, clique à droite, à gauche, et commence ma routine monotone de téléconseillère.
Les appels s’enchaînent, je suis la cadence, réponds machinalement tout en naviguant sur internet à la recherche d’un appartement à louer dans le quartier de Cleunay, proche de la crèche de Fleur.
Depuis l’instant où j’avais pris la décision de reprendre ma liberté, j’étais à l’affût de la moindre annonce, mais hélas je ne trouve rien dans mon modeste budget et ce matin comme à mon habitude, je fais défiler les pages des sites gratuits sur son écran, mécaniquement, jusqu’à ce qu’un encart attire mon attention. Je perds le fil de ma conversation déprimante et stérile avec l’inconnu qui geint au téléphone. Pressée de raccrocher, je débite une ou deux phrases polies pour écourter l’appel au plus vite et pouvoir passer le texte aux rayons X. La description correspond en tout point à ce que cherche en vain depuis près de deux mois.
Le prix est correct, même pour moi et c’est loué par un particulier, ce qui me permettrait d’éviter les frais d’agence assassins. Un nouveau clic sur ma souris et je me faufile déjà dans le couloir le portable vissé sur l’oreille, en adressant silencieusement un geste d’excuse à Sandra, ma manager trop gentille pour être autoritaire, qui hausse un sourcil en guise de questionnement muet auquel je réponds simplement par un léger clin d’œil.
Le propriétaire au téléphone est plutôt agréable, rendez-vous est pris le soir même pour une visite, comme une faible lueur au bout de l’obscurité, une pincée d’espoir dans cette journée qui commençait pourtant assez mal. Les heures s’étirent en longueur avant que ne sonne la fin de mon bagne personnel. Je trépigne sur mon fauteuil, m’agite, craint l’annulation, la déception, surveille l’horloge qui semble se moquer et jouer avec mes nerfs.
Quand finalement, 17 h s’affiche enfin au bas de l’écran, j’arrache le casque qui m’enserre les cheveux et m’enfuit, presque en courant. Une multitude de notifications avec des numéros courts apparaît, implacable, je les ignore, concentrée sur le chemin à emprunter, priant les étoiles et l’univers de me sourire un peu.
Et les planètes s’alignent subitement. ..