Ma vie n’est qu’un combat qui n’en finit jamais et j’ai l’habitude d’enfiler mes gants pour sauter sur le ring, mais dernièrement, je suis confrontée à des combats dont j’ignore toutes les règles, comme un boxeur avec un bandeau sur les yeux ou dans un jeu de Colin Maillard nouvelle génération, je prends des coups sans pouvoir les anticiper, j’encaisse, titube, sautille sur place en attendant de pouvoir rendre les uppercuts.
J’ai l’impression de vivre sur des sables mouvants, en colocation avec Dr Jekyll, et même si j’ai peur de lui, je n’ai pas d’autre choix pour le moment que d’agir avec froideur et détermination. S’il découvre mon jeu, il me tuera peut-être.
“Si je ne t’ai pas, personne ne t’aura” – j’entends encore cette phrase qui résonne comme un avertissement ou pire : un présage. Alors, malgré le besoin de plus en plus pressant de m’enfuir avec ma fille, je joue aux échecs contre le calendrier en attendant ma carte “sortie de prison”.
Toujours en alerte, mon esprit jamais ne cesse de détricoter les souvenirs, de remonter le fil de ma vie, de mes choix, de mes erreurs et de dresser la liste mentale des gens qui seraient susceptibles de souhaiter ma perte, au point de vouloir se venger, au point de devenir “l’ombre inconnue” qui nous harcèle du matin au soir. Comme si l’implosion de la famille que nous avions construite n’était pas suffisante. Le sommeil me fuit et pour la première fois de toute mon existence, puisque je suis, pour l’heure, contrainte à une inaction forcée j’ai regardé le passé droit dans les yeux et j’ai réalisé qu’en partant si jeune de chez mes parents, dans une fuite en avant qui n’en finit jamais, j’avais tenté d’échapper, aveuglement, à cette malédiction qui poursuit les femmes de ma famille condamnant tous les mariages à l’échec et aux larmes maquillées.
Jusqu’à présent, depuis l’adolescence et ce jour maudit où ma vie avait basculé dans cette chambre d’hôtel sordide, mon existence n’avait été que violence et désillusions, en particulier avec les hommes.
J’avais cru mourir parfois, me noyer souvent, me raccrochant chaque fois à un fil de plus en plus élimé, avant de comprendre que je reproduisais, sans même m’en apercevoir, les schémas délétères que ma famille traine de génération en génération.
Lors d’une de ces nuits où l’on n’y voit comme en plein jour, il m’était apparu que si je voulais m’en sortir, il me fallait trancher dans le vif, pour ne plus jamais subir et pour que Fleur n’hérite pas à son tour de ce lourd fardeau transgénérationnel.
“Bravo Juliette, joli cadeau que tu lui as fait à ta fille”
Chaque fois que je plonge mes yeux dans ceux de ma toute petite fille je lui demande pardon, d’âme à âme, le cœur en miettes. Pardon d’avoir échoué dans ma vaine quête d’une famille unie, comme on en voit dans les films. Pardon de l’avoir fait venir au monde dans cet enfer domestique. Et, surtout, pardon, pour tout ce que nous apprêtons à traverser ensemble et dont je ne concevais pas encore l’étendue des dégâts.
Mais pour le moment, je m’efforce de maintenir le cap, me concentre sur la ligne d’horizon que j’essaie surtout de ne jamais quitter des yeux, imagine un avenir serein et doux pour nous deux, loin de William et son ambivalence effrayante, enfin libérées de notre harceleur tapi dans l’ombre et je me contente de baisser la tête pour foncer à travers la tempête, en me disant “ça ira mieux demain ou peut-être après-demain”.
Parce qu’aujourd’hui, les nœuds karmiques devront attendre.