La petite France est envoyée chez ses grands-parents maternels, pour y vivre pendant environ un an.
L’argent obtenu des assurances permet tout juste de solder les dettes, Rose doit tout reconstruire pour elle et ses filles.
Elle devient directrice d’une succursale SINGER, et part une année en formation à Tours.
Les filles sont donc séparées, encore, et confiées à droite, à gauche à des membres de la famille.
En attendant…
France n’y comprend plus rien des voyages sans fin de son père, de ce qu’elle vit comme un abandon de sa mère et de sa sœur qui n’en porte que le nom.
Et puis, il faut affronter ces murmures qui s’amplifient de plus en plus, autour d’elle, comme une vague qui prend de la vitesse et déferle, impossible à endiguer.
Elle boit la tasse, le jour où une gamine lui balance, un sourire sadique au coin des lèvres :
─ Tu n’es qu’une fille de suicidé !
Lorsqu’elle essaie d’obtenir des réponses comme on quémande une ultime bouée avant de se noyer, c’est l’omerta.
Personne ne parle, nul ne confirme ou ne répond à ses questions.
Juste des pleurs que l’on étouffe et dissimule, seulement de la colère et les yeux noirs de Rose qui la clouent au sol, pétrifiée.
Mais comment se construire normalement, dans ce silence oppressant ?
Avec une mère qui lutte pour construire un avenir pour elle et ses filles, et pour père : juste un portrait au-dessus du chambranle de la porte et quelques souvenirs qui s’effacent chaque jour davantage ?
Ce n’est finalement que bien plus tard, une fois majeure, qu’elle découvrira, en accédant aux archives de LA MONTAGNE – quotidien local – cent trente-cinq grammes de vérité brute.
Son père ne reviendra jamais.
Il a choisi, seul, de partir en se logeant une balle dans le crâne, en laissant sa femme devenir veuve à tout juste trente ans, ses deux petites filles orphelines et ses proches se démener dans un océan de mensonges et de faux-semblants.
Ensuite pour France c’est une lutte constante pour glaner une place dans la lumière.
Réussir à l’école, brillamment pour s’en sortir, faire oublier son nom et rendre fière sa mère aussi…
Comme l’argent manque, elle accepte à contre-cœur une bourse pour devenir assistante sociale, moyennant plusieurs années de carrière.
A dix-sept ans, elle rencontre Noël, étudiant en lettres sans grand moyens, qui a, également, perdu son père trop jeune.
Lui aussi, donc, a des comptes à régler avec le destin.
Tombée enceinte, encore mineure, elle est contrainte d’avorter clandestinement dans des conditions sordides et une asepsie nulle.
France fait une septicémie, frôle la mort de près…
Un ange passe, elle survit.
Les familles font pression ; ils se marient…
Mais est-ce que l’amour perdure ou est-il « passé » avec ce bébé, puisque c’est comme ça qu’on dit ?
Les années s’écoulent, les médecins la diagnostiquent stériles ; elle fait deux fausses-couches.
Et finalement, alors qu’ils n’y croyaient plus, un bébé s’accroche – enfin un des bébés ! puisqu’il y a deux poches dans cet utérus que l’on prétend maudit.
Une petite fille née le premier jour d’un mois de décembre enneigé : Juliette, qui sera suivie, presque six ans, après par une petite sœur, blonde comme les blés, arrivée la veille de l’été : Fanny.
Les années de galère sont loin, la réussite s’est installée
Elle a repris ses études, est devenue psychologue, lui est directeur d’un centre des langues, tout semble pour le mieux.
Pourtant, le couple est fragile derrière une façade souriante et paisible.
France a sans doute tenté à sa façon de souder cette famille dont elle a bâti les fondations en partant rejoindre Noël établi dans l’Ouest, comme pour conjurer ses blessures d’enfance encore béantes.
Se donner une chance de tout reconstruire à quatre, loin de cette terre, synonyme pour elle de violences et de mensonges, prendre un nouveau départ, commencer une nouvelle vie.
Une réflexion sur « Le ventre maudit #extrait 14 Une anonyme au bout du fil »