Elle se secoue, « ce n’est pas le moment, Ju !» repose le combiné pour le reprendre, glisse sa carte et compose le numéro d’Isabelle, une autre de ses amies.
C’est sa mère qui décroche, elles s’aiment bien avec Juliette.
Pourtant, elle sent sa voix tendue, mais elle ne dit rien de spécial, appelle sa fille, et lui glisse quelque chose, que Juliette ne saisira pas.
Soudain la voix d’Isa, dans l’appareil, comme un réconfort.
─ Ju, ça va ? Tu vas bien ?
─ Oui ça va, mais je suis partie de chez moi, j’me suis pris la tête avec ma mère, j’en ai ras-le-bol…
─ Dis-moi où tu es, on va venir te chercher !
Elle hésite…déjà, parce qu’elle n’a envie d’attirer de soucis à personne et aussi parce quelque chose en elle se dresse comme une palissade qui la fait se mettre sur la défensive.
Peut-être cette phrase murmurée par la mère d’Isabelle, il y a quelques secondes à peine, dont elle n’a pas compris le contenu mais qui la met en alerte.
Comme un pressentiment.
Sa copine insiste :
─ Ju, tu ne vas pas rester comme ça, toute seule dehors, dis-moi où tu es et on arrive !
Elle a envie de s’asseoir dans un cocon, de se poser dans une chrysalide, que cette épreuve s’arrête pour qu’elle puisse réfléchir et s’assoupir avec des certitudes germées dans son esprit au réveil.
Elle se sent comme une fugitive, alors qu’elle s’est enfuie depuis seulement quatorze heures de chez ses parents.
Ils ont dû alerter tout Angers, mais ont-ils dormi ? Mangé ? Comment va sa sœur ? Est ce qu’elle pleure ? Est-ce que France se rend compte à quel point Juliette est dévastée de comprendre qu’elle ne représente qu’une déception dans ses yeux maternels mais si peu « maternants » ?
Au bout de quelques minutes, la palissade s’effondre et elle laisse échapper dans un soupir :
─ dans la cabine téléphonique, Rue La Madeleine…
─ Ok, on va venir, ma mère est partie s’habiller, mais tu as dormi où ? Tu sais que tes parents sont fous d’inquiétude, ils sont venus hier, ils te cherchaient partout…
Ses tirades n’en finissent pas, Juliette trouve ce babillage vide de sens, puisqu’elles allaient se voir dans quelques minutes, une fois que sa mère aurait fini de se préparer, étonnant d’ailleurs, qu’est-ce qu’elle fichait…
Soudain, comme un éclair de compréhension, dans l’esprit embrumé de Juliette, Isabelle essayait de gagner du temps !
Juliette scrute la rue vide et silencieuse, se fige, guette le moindre son émergeant du brouhaha citadin alentour.
Un crissement de pneus dans une rue toute proche, une Rover au croisement.
Son père !
Elle reconnaît l’avant de la voiture, crie « Connasse !» au combiné qui se balance, goguenard, au bout de son tortillon mécanique.
Elle tente alors de s’enfuir en courant, claquant à la volée les portes en verre de la cabine.
Mais la rue est une ligne droite étroite, pas d’endroits où se faufiler en piétonne.
Elle entend le moteur de la Rover rugir, puis voit la voiture la dépasser.
Son père le volant, la bagnole pivote, se gare à travers son chemin, elle est bloquée.
Noël ouvre la portière, la toise et lance :
─ Monte Juliette, fais pas ta gamine !
Elle abdique, de guerre lasse, trahie par une copine qui a fait ce qu’il fallait sans doute, mais trahie quand même.
Une réflexion sur « L’amie qui trahit #extrait 22 Une anonyme au bout du fil »